Observations pour la réunion du Comité sénatorial concernant le projet de loi S-237

Mesdames et Messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, je tiens à vous remercier de m’avoir invité à votre réunion alors que vous examinez le projet de loi S-237 — un projet de loi d’initiative parlementaire de la sénatrice Ringuette — sur la définition de « taux d’intérêt criminel » dans le Code criminel canadien.

Présentation et contexte de l’APC

Je suis Gary Schwartz, président de l’Association des prêteurs canadiens (APC).

L’APC est une organisation s’adressant aux entreprises qui offrent directement ou indirectement des services financiers et surtout à celles qui accordent des prêts à certains segments du marché présentant un risque plus élevé et pouvant être desservis en intégrant la technologie au processus décisionnel.

Les entreprises membres de l’APC accordent des prêts tant aux PME qu’aux consommateurs. Leurs modèles novateurs répondent aux besoins en prêts des entreprises et particuliers de partout au pays.

L’APC veut se constituer, auprès de tous les types de prêteurs en activité au Canada (autres que les sociétés de prêt sur salaire), un large bassin de membres et favoriser la mise en place d’une bonne gouvernance et de normes internes strictes ainsi que le développement de cette importante activité commerciale.

Les membres de l’APC fournissent aux PME et aux particuliers des services de crédit de premier et second ordres. De son côté, l’Association aide les prêteurs qui cherchent à fournir un accès au capital aux marchés écartés par les sociétés de crédit qui utilisent des pratiques de souscription traditionnelles. En effet, ces pratiques font en sorte qu’il est trop difficile pour ces prêteurs de desservir ces marchés.

Grâce à des pratiques de souscription novatrices, des outils ingénieux d’évaluation du risque et un octroi de crédit adapté à ce risque, les membres de l’APC peuvent mieux servir les emprunteurs à plus haut risque qui ne répondent pas aux critères des prêteurs traditionnels.

L’Association compte actuellement 48 membres dont l’objectif commun est de créer un environnement de concurrence et d’innovation pour le milieu de l’emprunt au Canada. Elle parraine, ici et à l’étranger, des initiatives qui favorisent l’adoption, au Canada et pour les citoyens canadiens, de pratiques commerciales transparentes et responsables.

Elle s’est associée à des organisations de premier plan à l’échelle mondiale, comme l’ILPA (Innovative Lending Platform Association), pour offrir au marché canadien la crème de la crème.

Je me fais donc le porte-parole de ce secteur et représente des entreprises prospères qui exercent de manière responsable leurs activités dans le milieu du crédit. Nombre d’entre elles offrent des prêts de second ordre aux particuliers et entreprises du Canada.

Comme je l’ai mentionné au début de mon intervention, l’APC ne représente pas les sociétés de prêt sur salaire. Les membres de l’APC qui offrent des prêts de second ordre proposent des taux d’intérêt de loin inférieurs à ceux des prêts sur salaire et sont une option pour les consommateurs qui se sont vu refuser un prêt ou qui ne peuvent avoir accès à du crédit en passant par les sociétés traditionnelles.

Les membres de l’Association sont assujettis à l’article 347 du Code criminel en vertu duquel un prêteur ne peut exiger ni percevoir un taux d’intérêt supérieur à 60 %. Les taux d’intérêt globaux que perçoivent les membres de l’APC sont ajustés en fonction des risques et vont de 19,9 % à 46,9 % par an.

Le Comité a certainement entendu des histoires de consommateurs pris au piège dans de dispendieux cycles de crédit. Les membres de l’Association s’efforcent d’offrir d’autres options de crédit à ces personnes.

Grâce à la structure de leur modèle d’affaires, ces entreprises peuvent offrir des options de crédit aux consommateurs que les prêteurs traditionnels jugent trop à risque. Or, beaucoup de ces consommateurs vivent de salaire en salaire. Ils n’ont pas de fonds d’urgence pour parer aux imprévus : réduction soudaine des heures de travail, problèmes de santé dans la famille, bris du fourneau ou de la voiture, par exemple.

Les membres de l’Association offrent des solutions à ces personnes. Elles peuvent ainsi répondre à leurs besoins financiers immédiats à l’aide d’un prêt qu’elles auront les moyens de rembourser.

Sans compter que, grâce à des prêts qu’ils peuvent rembourser, ces consommateurs pourront améliorer ou rebâtir leur dossier de crédit. Leurs chances de se voir accorder un prêt traditionnel par la suite seront nettement meilleures. Les prêteurs de l’APC qui offrent des prêts de second ordre font partie intégrante d’un écosystème de crédit au service du marché canadien.

Projet de loi S-237

Sachant que le Comité sénatorial des banques et du commerce étudiait le projet de loi S-237, l’APC en a pris connaissance et, en consultation avec son Comité des Affaires législatives et gouvernementales, a formulé ce qui suit.

  1. Modification proposée au taux d’intérêt

Le projet de loi S-237 propose de modifier le taux d’intérêt criminel pour le faire passer de 60 % au taux de financement à un jour de la Banque du Canada majoré de 20 %. Ce nouveau taux d’intérêt ne s’appliquerait qu’à certains prêts, plus précisément aux prêts personnels comme les prêts contractés à des fins familiales ou domestiques.

Le taux actuel fixé à 60 % continuerait de s’appliquer aux prêts contractés à des fins professionnelles ou commerciales. Ceci étant dit, nous croyons comprendre que les prêts de plus de 1 million de dollars accordés aux entreprises ne seraient pas assujettis aux dispositions sur l’imposition d’un taux d’intérêt criminel. Concrètement, cela veut dire que les prêteurs qui accordent un crédit à une entreprise pourraient imposer un taux d’intérêt supérieur à 60 % si ce prêt est de plus de 1 million de dollars.

À l’heure actuelle, la loi canadienne régit tous les types de crédit, des prêts de premier et second ordres aux prêts sur salaire. Aujourd’hui, je m’intéresserai d’abord aux prêts de second ordre pour les consommateurs, car c’est là que les effets de la modification législative se feront le plus sentir.

 

  1. Demande du marché, consommateur moyen et conséquences d’un accès restreint au crédit

Selon des études menées en 2016 par quelques membres de l’APC et TransUnion, le marché canadien du crédit de second ordre représente 165 milliards de dollars, et plus de 7 millions de Canadiens n’ont pas un dossier de crédit suffisant pour obtenir un prêt traditionnel. Les personnes dont le dossier de crédit est en deçà du seuil prescrit (c.-à-d. sous la cote de crédit de 700) doivent souvent se tourner vers d’autres options d’emprunt pour obtenir du financement.

Ces 7 millions de citoyens sont des travailleurs ordinaires qui ont une cote de crédit probablement trop basse pour obtenir un prêt de premier ordre. Il y a une demande, sur le marché canadien, pour d’autres sources de financement.

Depuis la crise économique mondiale de 2008, plusieurs gouvernements étrangers ont adopté des dispositions réglementaires obligeant les banques à constituer des réserves plus grandes pour les prêts liés au risque. Beaucoup d’institutions financières ont été poussées, par ces exigences et les risques pour la réputation liés au fait d’être une société de crédit dans un tel contexte, à quitter le marché des prêts de second ordre. Au Canada, on parle de Wells Fargo, HSBC et Citigroup.

Par conséquent, 7 millions de Canadiens, auparavant desservis par des institutions financières traditionnelles, ont vu leurs choix en matière de prêt de second ordre se restreindre. Sans l’esprit novateur des quelques prêteurs restants sur le marché canadien, leur appétit pour les risques calculés, leurs investissements dans des logiciels de données intelligentes et leurs plateformes de communication numériques conviviales, près de 7 millions de personnes se seraient retrouvées sans option de crédit viable.

Au risque de me répéter, il y a une demande en matière de crédit et cette demande ne diminue pas parce que les prêteurs traditionnels se retirent du marché. Quelles sont les autres options pour ces consommateurs canadiens? Ils en ont bien peu… Outre la famille et les amis ou le marché noir, seulement deux options de financement immédiat s’offrent à eux : les sociétés de prêt de second ordre et les sociétés de prêt sur salaire.

Le Comité doit comprendre les conséquences néfastes qu’aura, sur l’offre et la disponibilité du crédit pour les consommateurs, le projet de loi S-237 s’il est adopté dans sa forme actuelle et abaisse le plafond du « taux d’intérêt criminel » en vertu du Code criminel. Comme les prêteurs devront se plier à des dispositions plus sévères concernant les taux d’intérêt, de nombreux consommateurs qui ont grandement besoin de financement se retrouveront le bec à l’eau.

Si on limite l’accès au crédit perçu comme étant à « coût élevé », en réalité on élimine l’offre aux emprunteurs à risque élevé. Ainsi, si on limite l’accès au crédit perçu comme étant à « coût élevé », on enlève à ces emprunteurs une chance de rebâtir ou d’améliorer leur dossier de crédit. Modifier le Code criminel incitera les prêteurs à se diriger vers des marchés plus sûrs abandonnant ainsi à leur sort des millions de Canadiens et leur famille qui devront composer avec des difficultés supplémentaires.

Ce vide du marché inévitable pourrait pousser de nombreux consommateurs à contracter des prêts non réglementés, lesquels s’accompagnent de taux d’intérêt nettement supérieurs et, qui plus est, ne les aideront pas à rétablir ou à améliorer leur dossier de crédit. La proposition actuelle limitera encore davantage les options pour quelque 7 millions de Canadiens.

La population canadienne doit avoir accès à des options de crédit de second ordre abordables et dignes de confiance.

J’aimerais attirer l’attention du Comité sur la situation au Royaume-Uni qui, après avoir pris une décision similaire, en voit maintenant les conséquences.

En 2014, la Financial Conduct Authority a resserré sa réglementation concernant le crédit à la consommation; en l’espace de 18 mois, on a observé sur le marché une baisse de 20 % du taux d’approbation des prêts et une baisse de 50 % de la base de consommateurs (de 1,6 million à 0,8 million). On a aussi remarqué un recul par rapport aux acteurs du secteur. Plusieurs institutions ont fait des fusions ou ont quitté le secteur, réduisant les options de crédit pour les consommateurs.

Comme le crédit avait été limité à certains segments du secteur de second ordre, beaucoup de personnes ne savaient plus où se tourner pour répondre à leurs besoins en crédit. Ce qui a mené à une hausse du recours aux prêts non réglementés. Les besoins en crédit à la consommation n’ont pas disparu. Les consommateurs ont plutôt eu à dépenser plus pour obtenir un crédit non réglementé. Et dès que le crédit se retrouve dans un milieu non réglementé, tout principe de protection et de transparence est relégué aux oubliettes.

Le Royaume-Uni est l’exemple parfait des conséquences néfastes qu’ont souvent ces règlements sur les consommateurs. L’APC exhorte le Comité à étudier le cas du Royaume-Uni pour voir les conséquences qu’a eues, sur le marché, ce règlement concernant le taux d’intérêt.

  1. Sociétés de prêt de second ordre et concurrence

Les décideurs politiques doivent comprendre les risques que courent les sociétés qui accordent du financement de second ordre (taux de délinquance, radiations, etc.). Pour que ces sociétés puissent offrir leurs services à ce marché, elles doivent obtenir du financement. Or, elles ne peuvent l’obtenir des institutions financières traditionnelles en raison des risques réels et perçus associés aux prêts accordés à ce segment de la population canadienne.

Le Comité comprend certainement qu’il est beaucoup plus dispendieux d’accorder de tels prêts que d’accorder un prêt traditionnel. Ajoutons à cela le taux de perte supérieur et nous obtenons les taux d’intérêt plus élevés imposés aux emprunteurs de second ordre.

Ce sont les consommateurs canadiens qui en ressortent gagnants quand l’offre est diversifiée et les barrières pour avoir accès au crédit sont réduites. Au contraire, c’est le consommateur qui en pâtit quand des sociétés novatrices ne peuvent rivaliser avec le coût du capital, le volume et le rendement. Si on garde tel quel le taux d’intérêt prescrit dans le Code criminel, on pourra conserver l’offre de crédit pour les consommateurs canadiens.

Je tiens à souligner que le marché cherche à offrir les meilleurs taux d’intérêt possible aux consommateurs. Les entreprises bien gérées qui offrent des options de crédit novatrices optimisent intrinsèquement leurs taux d’intérêt pour proposer aux consommateurs les meilleures options possible. Si les nouveaux venus peuvent se démarquer par leur vitesse concurrentielle, leur taux d’approbation ou la taille de leurs prêts, l’un des facteurs clés qui garantissent que les consommateurs choisiront une société par rapport à une autre est un coût de capital moindre.

La proposition de la sénatrice de baisser le taux d’intérêt prescrit dans le Code criminel limitera l’offre de crédit pour les consommateurs qui ont le plus besoin de solutions de rechange en matière de crédit. Elle restreindra aussi la concurrence, car une réglementation plus stricte et une marge de profit inférieure décourageront les nouveaux joueurs et en pousseront d’autres, qui offrent des prêts à des taux d’intérêt de second ordre, à quitter le marché.

Les sociétés de crédit novatrices que représente l’APC ont généré des retombées considérables pour de nombreux consommateurs canadiens et ont permis un marché sain et concurrentiel, le tout conformément au taux d’intérêt maximal imposé par le Code criminel.

Merci du temps que vous m’avez accordé cet après-midi et je serai heureux de répondre à toutes vos questions.